Beausoleil, le 16 Novembre 1997
Objet : Dossier Enfants Surdoués (13-19 Novembre 1997)
Madame, Monsieur,
Votre dossier sur les enfants surdoués et leurs besoins spécifiques d'éducation était particulièrement bien construit : il est en effet difficile d'éviter les écueils passionnels sur un tel sujet, et vous y avez bien réussi.
Il en est d'autant plus navrant que le Professeur Jacquard, s'exprimant sur un sujet qu'il ne connaît visiblement pas, fasse tellement de confusions que son discours en devient totalement faux, voire dangereux pour le bonheur de ces enfants particuliers.
Je ne relèverai ici que les erreurs les plus flagrantes, et les moins propices à discussion : ceux voulant en savoir plus pourront consulter mon site Internet sur le sujet https://douance.org[1] ou attendre le livre que nous finalisons avec JC Terrassier (fin 97). Il est cependant important que vos lecteurs ne soient pas entraînés par la puissance médiatique du Professeur Jacquard, et donc que ses erreurs soient corrigées au plus vite.
Tout d'abord le QI n'est pas, et n'a jamais été, un "Quotient d'Intelligence" : éthymologiquement, il ne s'agit que d'un quotient Intellectuel, ce qui est très différent, et il sert maintenant à diagnostiquer une caractéristique de certains enfants, à savoir leur rythme de développement intellectuel particulier.
Celui-ci en effet peut être beaucoup plus lent que ceux affectifs et psychomoteurs (on parle alors "d'hétérochronie"), et c'est le cas chez les déficients intellectuels, ou au contraire beaucoup plus rapide chez les enfants dits "surdoués" ou "intellectuellement précoces" : c'est la "dyssynchronie". Celle-ci a maintenant été bien étudiée, référencée, ses conséquences reconnues, et il est prouvé que le QI est actuellement le seul outil fiable pour la diagnostiquer.
Vouloir ramener le QI à l'intelligence (ou l'inverse) ne peut qu'entraîner des déductions fâcheuses : soit en effet on en finit par réduire l'intelligence à un chiffre (ce que plus aucun scientifique ne fait de nos jours, le Professeur Jacquard devrait finir par l'apprendre), soit au contraire on démontre facilement que le QI ne mesure pas toute l'intelligence, et on en vient à rejeter ce qu'il peut nous apporter.
Les enfants surdoués (ou tout autre terme qu'on pourrait inventer) existent, et ils présentent des caractéristiques communes. De même qu'un enfant mesurant 1m80 est différent d'un autre qui, au même âge, ne mesure que 1m50, un enfant au QI de 150 sera différent d'un enfant au QI de 100. Dans un cas comme dans l'autre, il faudra des mesures adaptées (vestimentaires pour le premier exemple, éducationnelles pour l'autre) ; et dans aucun des cas on ne pourra définir une supériorité d'un enfant sur l'autre (ce qui n'a aucun sens). Ne pas adapter l'éducation d'un enfant à son rythme de développement intellectuel, et donc se baser sur son âge réel pour lui imposer ce qu'il doit apprendre et ce qu'il ne doit pas, est équivalent à vouloir lui imposer une pointure de chaussures en fonction unique de son âge, et indépendament de la taille de ses pieds.
Un enfant surdoué nécessite 3 aménagements à son parcours scolaire : l'enrichissement (apprendre plus de matières), l'approfondissement (aller plus loin dans les matières enseignées), et l'accélération (lui apprendre ce qu'il peut apprendre indépendament de son âge, et non pas le forcer à attendre qu'il ait l'âge légal). Les discours tels celui du Professeur Jacquard font que cette troisième adaptation est interdite par l'Education Nationale et n'est accessible que dans le cursus privé, comme le Lycée Michelet de Nice (même le Collège du Cèdre du Vésinet n'a pas reçu l'autorisation). Et c'est ainsi qu'il vaut mieux avoir des parents riches quand on naît surdoué, si l'on ne veut pas moisir au fond de classes inadaptées.
Car en effet on naît surdoué, et cela dans tous les milieux, indépendament du statut socio-professionnel des parents, et même de l'attention particulière portée par la mère à son enfant. Peut-être est-ce génétique (au sens d'hérédité comme à celui de variation), peut-être est-ce prénatal, sans doute un peu les deux, plus le hasard certainement, on ne sait pas vraiment. Mais on sait que ce n'est pas social, et que la moitié des surdoués Français proviennent de milieux sociaux-culturels défavorisés ; et cela est autrement essentiel que de disserter si il peut ou non exister un gène du surdouement (NB : le Professeur fait une erreur de logique à ce niveau).
Il reste un certain nombre de points sujets à discussion dans ce que dit le Professeur, au niveau de la génétique par exemple, ce qui paraît surprenant s'agissant de sa spécialité, ou encore au niveau de la "superficialité" des surdoués (qui peut se permettre un tel jugement de valeur ?).
Mais il reste surtout un point plus grave. Et c'est la question que se posait JC Terrassier à la lecture de cet article : que propose le Professeur Jacquard pour les enfants qui, ayant compris quelque chose à 13 ans, doivent attendre encore 5 ans l'âge "légal" qu'il définit ? Seront-ils psychologiquement mieux construits, plus sereins, mieux dans leur peau, en un mot plus heureux, ceux qui auront été freinés de manière aussi drastique ?
L'expérience a déjà prouvé, tragiquement, que non.
Philippe Gouillou
- Il n'existe que très peu de sites Internet en Français sur le sujet.
Les 2 plus importants sont : celui de Mensa France (http://www.mensa.fr ), maintenu par Christian Denat, qui présente l'ensemble des activités de toutes les associations spécialisées, et le mien (https://douance.org) qui contient un dossier complet. L'ANPEIP Nord ouvre actuellement un nouveau site (http://www.mygale.org/~anpeip), maintenu par Philippe R. Maurice.
Nous communiquons très fréquement ensemble, notamment pour aider de nombreux parents perdus par le comportement de leurs enfants